Libre-penseur, rationaliste et humaniste, je me définis comme un optimiste
qui a une grande foi en l'Homme et ses capacités à faire du bien, mais ne néglige pas
les dangers que peuvent générer tous les obscurantistes du monde entier...

jeudi 8 octobre 2009

Un SDF pas comme les autres

Je l'avais connu il y a bien longtemps, à une certaine époque ou je vivais encore dans une résidence universitaire. Il s'appelait Rachid, un prénom trop commun pour une vie trop spéciale et il était marocain... Il vivait dans la cage d'escalier de ma résidence, il n'était pas le seul à vivre dans les alentours, mais il était le seul avec qui j'avais noué une certaine amitié. Je n'avais compris ce qu'il était vraiment qu'après une longue période d'observation. Toujours rasé de près, bien coiffé et surtout très bien habillé, il avait la particularité de se déplacer tout le temps avec un énorme sac à dos de couleur bleue et pour qui il avait une attention bien particulière, comme un enfant ou une amante. Je le voyais toujours trainer dans le restaurant universitaire qui était pourtant interdit aux non-étudiants, mais la complaisance que je voyais dans les yeux de la personne qui s'occupait de la caisse m'ont rapidement fait comprendre que cette personne là quelque chose d'hors du commun, que pour lui toutes les règles sociales ne s'appliquaient pas forcément. J'avais même eu l'occasion de le rejoindre à table afin de discuter le temps d'un repas de la vie et de ses tracas et j'avais remarqué à mon grand étonnement qu'il essayait tant bien que mal de se nourrir le plus correctement possible. Nous voilà donc en présence d'une personne au sac à dos bleu qui cache tellement de secrets, secrets que j'avais fini par percer. Une de ces nuits d'hiver caractéristique de cette ville au nord de la France, après avoir eu droit à une journée de pluie exceptionnelle, le ciel se dégagea d'un coup pour laisser place à un froid auquel j'avais jamais assisté. Noyé dans mes pensées sur l'au delà et l'après-mort, je me suis souvenu que selon les écritures bibliques, il existait sept enfers de Feu ainsi qu'un huitième ou l'on subissait les plus terribles supplices mais où régnait un froid glacial, je me suis dit qu'il se peut qu'on ce moment une personne puisse souffrir le martyr sans qu'aucun humain ne daigne s'en soucier. Je me suis rapidement bien couvert avant de descendre les escaliers afin d'aller voire un groupe de SDF dont je connaissait le repère qui consistait en la grille d'aération d'un grand moteur de supermarché, mais dès que j'ai commencé ma descente, des gloussements et des gémissements déchirèrent mes oreilles, je me suis précipité envers la source des plaintes et j'ai trouvé, gisant devant moi, un homme à moitié vivant, le visage pâle, les mains tremblantes et les habits mouillés, mais qui était encore conscient, il m'expliquera plus tard qu'il avait était surpris par la pluie et qu'il n'avait pas eu la possibilité de se changer à cause de sa maladie qui l'affaiblissait. J'ai réussi tant bien que mal à le ramener dans ma chambre et j'ai pu lui trouver des habits à sa taille, je lui avait fait à manger et l'avait sommé d'aller voire un médecin le plus tôt possible. Chose faite, il recouvra la santé très rapidement et depuis il commença à partager avec moi le récit de sa vie.
Il s'appelait Rachid, il avait 35 ans et avait la nationalité française depuis plus d'une dizaine d'années. Il avait un vie des plus banales au Maroc, son pays d'origine, il était un grand lecteur et aimait particulièrement Victor Hugo dont il avait lu l'intégralité des œuvres disponibles dans son pays. Il avait exercé plusieurs métiers mais son amour pour la culture occidentale le poussa à s'orienter vers le domaine du tourisme ou il fit la connaissance de sa future femme Isabelle, une femme qui avait son âge, très belle et surtout très raffinée et malgré son dégout pour ces "arabes" qu'elle n'affectionnait pas particulièrement, elle était tout de suite tombée amoureuse de Rachid, un homme avec beaucoup d'élégance et un savoir vivre hors du commun, ils vivront ensemble six mois de pur bonheur avant de retrouver devant un dilemme qui changera leur vie à tout jamais, Isabelle devait rentrer chez elle pour reprendre son boulot, lui ne voulait pas quitter sa mère malade et seule, après avoir essayé de prendre conseil auprès de ses amis, il se trouva obligé de quitter mère et patrie et se jeter dans cette Europe qui lui tendait les mains avec toutes les promesses d'une vie meilleure, d'une vie digne. Ses premiers jours n'étaient pas sans difficulté en France, mais la présence de sa femme et de sa famille qui, même si elle était réticente au mariage de leur fille avec un musulman, a fini par d'adopter pour son humour et sa joie de vivre inégalables. Il a commencé à travailler dans la restauration qu'il abandonna rapidement pour garder un rythme de vie normal ou il pourrait profiter de sa femme, le jour de sa titularisation dans son nouveau boulot en tant que vendeur dans une droguerie, il appris que sa femme était enceinte, cette nouvelle, me le dira-t-il, fût la plus belle nouvelle qu'il n'aie jamais entendue, il passa 9 mois comme sur un nuage, mais le sort a voulu qu'il ne profite pas de la naissance de sa fille, car deux jours avant l'accouchement de sa femme, un coup de fil du bled lui annonça la terrible nouvelle : sa mère vient de décéder. Le long du trajet il n'arrêtait pas de penser à sa mère qu'il avait si lâchement abandonnée, s'il était resté à ses côtés, elle aurait surement vécu plus longtemps, pensait-il. Les funérailles furent très dures pour lui, jamais il n'avait imaginé que ça serait aussi dur de mettre sous terre la personne qui nous avait mis sur terre. Une fois les obligations sociales terminées, il reprit le chemin vers la France, pour voire sa fille. Armé d'un bouquet de fleurs, il franchit la porte de la clinique avec un sourire radieux et avec une volonté de fer à vouloir oublier ce qui venait de se passer récemment, mais quand il aperçut les yeux en larmes de sa femme et les visages inquiets des infirmières qui s'agitaient autour du berceau de sa fille il a tout de suite compris que quelque chose n'allait pas, sa belle mère éclata en sanglots quand elle le vit, Zohra, à qui il donnera le nom de sa défunte mère, était née lourdement handicapée. Les problèmes commencèrent ce jour là, ils n'osaient plus se regarder en face car ils avaient peur de s'accuser mutuellement d'avoir été la cause de cette naissance, Zohra grandissait mais pas comme les autres gosses, elle avait plus de demandes que les autres enfants mais ne rayonnait pas de bonheur comme eux, elle était LE péché commis par les parents. Le couple commença à se détruire, la femme se jeta à bras ouverts dans son boulot et le l'homme commença à sombrer petit à petit dans l'alcoolisme, il buvait d'abord en cachette, essayait d'expliquer qu'il buvait parce qu'il était fatigué au boulot mais ça ne trompait plus personne, Rachid est devenu alcoolique, au bout de trois ans, il s'était déjà fait virer de deux boulots et avait de plus en plus de mal à aller en chercher sans être en état d'ébriété, sa femme a renoncé à le blâmer depuis qu'il l'avait accusée d'être à l'origine de l'handicap de leur fille en n'ayant pas arrêté rapidement un traitement anti-dépression pendant sa grossesse, au bout de deux ans de chômage, le couple était déjà au bout de la rupture, le coup de grâce pour eux était la mort de leur petite fille, déjà fragile de santé, elle avait succombé dans son sommeil à une pneumonie fulgurante qui ne lui a même pas laissé une semaine, c'était bien pour elle, disaient quelques personnes compatissantes, mais personne n'était dupe, Isabelle n'avait plus aucune raison de rester aux côtés de Rachid, elle qui l'avait connu élégant, beau parleur, il était devenu une loque humaine, l'ombre de l'homme qu'elle avait connu auparavent. Avec toute la froideur du monde, elle le quitta comme on quitte une chaussette sale, Rachid, qui n'avait plus aucune attache dans son pays d'origine s'est retrouvé rapidement à la rue, sans le sou et sans amis, il faut dire qu'avoir un alcoolique SDF comme ami n'était pas très gratifiant socialement. Les galères ne faisaient que commencer pour lui, après l'alcool, c'était la drogue, ses soirées de manque, ses bad trips et l'argent collecté n'importe comment pour avoir sa dose, sentant q'il se détruisait, il replongea de plus belle dans l'alcool afin d'oublier sa toxicomanie. Quand il me racontait ça, je me demandais comment est-il arrivé à s'en sortir, et son histoire était encore plus incroyable. Un jour où il faisait la manche dans la grande artère de sa ville, son regard croisa une femme, très belle et très bien habillée, il avait encore cette habitude de sourire à tout le monde, mais cette fois il avait eu l'impression que ce sourire s'était dessiné tout seul sur son visage, la femme s'arrêta et se dirigea vers lui, elle s'est assise et a commencé à discuter avec lui. Il s'est senti rapidement en confiance avec elle, ses traits étaient si doux et si rassurants, elle lui parla de la vie et du sens que chacun s'en donnait, à chaque fois qu'il lui parlait d'un de ses échecs, elle trouvait toujours l'astuce pour lui parler d'une personne qui avait traversé pire et qui s'en était sortie indemne. Quand il lui demanda que lui n'avait plus de but dans sa vie, elle prit un air sérieux, lâcha un grand soupir et lui dit tout en regardant le ciel :"Le but d'une vie est de continuer à vivre sans rien lâcher, les faux buts ne nous rendent que plus misérables et plus hypocrites, aide-toi et aide ton prochain, c'est largement suffisant comme but dans la vie". Ces mots resteront gravés à tout jamais dans sa mémoire, elle qui avait tout selon lui, n'avait pas plus de but dans la vie que Rachid, ce misérable alcoolique sans avenir, avant de s'en aller, elle le prit dans ses bras et le serra fort contre lui en lui chuchotant des encouragements, cet instant rechangea encore une fois le cour de sa vie, ce moment lui rappela la période de quiétude qu'il avait connu avec sa femme, il maudissait la vie tout en l'aimant d'avoir été si cruelle et en même temps si ouverte à lui. Puis elle était partie, sans dire au revoir, sans même connaitre son vrai nom; le jour même il commença sa cure de désintoxication, deux mois plus tard, il avait déjà retrouvé un boulot digne de son nom, payé la moitié du smig, ça lui suffisait à peine mais il ne se plaignait pas, en une année il reprit un poids considérable, ressemblait de plus en plus à un Homme et arrivait désormais à se regarder dans une glace. Mais le destin s'acharna encore sur lui, étant gardien d'immeuble, il faisait une alternance avec un autre homme qui n'était pas des plus honnêtes, le jour de sa garde il s'est vu attaquer par une horde de bandits cagoulés qui avait eu un double des clés ce qui leur avait permis de voler plusieurs appartements vides cette nuit là. Il fut d'abord soupçonné de complicité, il a eu droit à trois jours de garde à vue inoubliables ou il reçut toutes les formes imaginables d'humiliation. Le jour de sa libération pour manque de preuves, il apprit qu'il avait été licencié. De retour à son repère, il fut surpris par la pluie et avait failli mourir s'il n'avait pas été sauvé par un parfait inconnu. Rachid ne s'est jamais remis de son arrestation, lui qui avait toujours gardé la tête haute et su rester digne malgré tout, n'a pas pu admettre qu'il puisse être humilié de la sorte, les mois suivants il avait réussi à remonter la pente petit à petit, en retrouvant du boulot, en s'isolant des heures avec son sac à dos qu'il déballait puis emballait avec un amour et une précision sans bornes, mais dans ses yeux, une lueur s'est éteinte, cette joie de vivre était partie à tout jamais. Habitué à mettre un poste radio à ses côté pour l'accompagner dans ses longues nuits de solitude, il ne s'en séparait jamais et ne l'éteignait que le matin, mais cette nuit du premier Avril n'était pas comme les autres,je suis descendu à cinq heures du matin de chez moi, dans la cage d'escalier régnait un silence de mort et une odeur inhabituelle, je suis parti vérifier et à mon grand désarroi j'ai retrouvé le corps sans vie d'une homme si exceptionnel, il serrait dans sa main droite la photo de sa femme et de sa fille et dans sa main gauche celle de sa mère, sur un bout de papier, il expliqua qu'il avait reçu la visite de sa fille qui lui demandait de la rejoindre le plus tôt possible, en guise de message d'adieu, il avait écrit "Femmes, pour vous j'ai vécu, pour vous je mourrai". Étrangement, j'ai découvert plus tard une photo de ces quatre femmes réunies mais qui ne se sont jamais rencontrées dans son fameux sac à dos bleu...

2 commentaires:

  1. Mais pourquoi t'as fais ça ? Tu m'as trop fait pleurer .

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  2. ton article m´a profondément touché , je voulais rendre hommage a tout ces hommes qui partent dans l´oublie en me permettant de publier un vielle écris á moi que j´avais appelé tout simplement SDF :
    Boire un cru noir
    Prendre un verre d´un soir
    Mais quesque tu viens faire dans ce noir
    Ma lumière a moi c’est de ne plus rien voir
    Chercher à renaitre des cendres
    Pier tout ce qui est à vendre
    Mais quesque tu viens faire dans ce froid
    Mon chez moi je ne l´est q´une seul fois à chaque fois
    Trainer sa vie dans un sac a main
    Écrire ses souvenir sur des bous de papier sans fin
    Mais quesque tu viens faire dans cette solitude
    Mon compagnon a moi a pris de l´altitude
    Compter sans fin les pas
    Ignoré par des regards ingrats
    Mais quesque tu viens faire dans cette faim
    Mon diné a moi je le partage avec des chiens
    Attendre jusqu´a ce qu´il ne fasse plus sombre
    Cacher sous les décombres
    Mais quesque tu viens faire dans ce désespoir
    Mon demain a moi c’est ne plus rien vouloir
    Prier dans un coin
    Délivré par ces soins
    Mais quesque je fais sur ce nuage
    Mon visage a moi n´étais que mirage
    Parti retrouver mon ami au loin
    Guidé par une lumière sortie d´un écrin
    encore merci a toi d´avoir partager ça avec nous...

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